Jamais la Terre n’a eu aussi chaud

L’humanité n’a jamais connu des températures aussi élevées que lors des quatre dernières années. Le mercure de la surface de la Terre a surpassé celui de l’époque préindustrielle de plus de 1 °C, selon une imposante analyse des Nations unies. Par ailleurs, la fonte des glaciers du Groenland et de l’Antarctique pourrait refroidir les hivers en Europe et réchauffer le Québec, indique une étude cosignée par une chercheuse de McGill.

Climat

Quatre années de chaleurs record

Les quatre dernières années ont été les plus chaudes que l’humanité ait connues. Le mercure a dépassé de plus de 1 °C la moyenne de l’époque préindustrielle, constatent les Nations unies, après avoir étudié les plus importantes bases de données météorologiques du monde.

Nouveaux sommets

En 2016, la température moyenne à la surface de la Terre a dépassé de 1,2 °C que celle enregistrée entre 1850 et 1900, à l’époque préindustrielle, a révélé hier l’Organisation météorologique mondiale (OMM), un organe des Nations unies. Il s’agit de l’année la plus chaude jamais enregistrée, un record marqué par l’influence du phénomène El Niño. Les années 2015 et 2017 suivent, ex æquo, avec une température moyenne qui a dépassé de 1,1 °C la référence préindustrielle. L’année 2018 complète le palmarès, avec une température moyenne supérieure de 1,0 °C à l’ère préindustrielle. La marge d’erreur de l’OMM est de 0,13 °C.

Tendance à long terme

La variation des températures au cours des quatre dernières années ne signifie aucunement que le réchauffement climatique recule ou même qu’il marque une pause, prévient l’OMM. « Il est bien plus important d’examiner l’évolution à long terme », a souligné dans un communiqué le secrétaire général de l’organisation, Petteri Taalas, rappelant que les 20 années les plus chaudes jamais enregistrées ont toutes été répertoriées dans les 22 dernières années. Il ajoute que « le rythme du réchauffement constaté ces trois dernières années est exceptionnel », tant sur la terre ferme que dans les océans, en raison des concentrations record de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère.

Événements extrêmes

L’OMM appelle la communauté internationale à « donner la priorité absolue » à la réduction des émissions de GES et aux mesures d’adaptation au climat, rappelant que le réchauffement du climat engendre tout un lot d’événements extrêmes. Environnement Canada a d’ailleurs établi « un lien clair » entre les changements climatiques et les 10 phénomènes météorologiques les plus marquants de 2018, dont elle a publié le palmarès, en décembre. On y trouvait notamment les incendies de forêt records ainsi que les inondations qui ont affecté la Colombie-Britannique, les mauvaises récoltes dans les Prairies ou encore la pluie torrentielle qui a provoqué une inondation au centre-ville de Toronto.

Vagues de froid

Quoi qu’en dise le président Donald Trump, la récente vague de froid polaire qui a frappé les États-Unis est aussi un symptôme du réchauffement climatique, précise l’OMM. « L’Arctique se réchauffe à un rythme deux fois plus rapide que la moyenne mondiale et une quantité de glace considérable a déjà fondu », ce qui a des répercussions sur les « régimes météorologiques » de tout l’hémisphère Nord, rappelle M. Taalas. Il est donc possible que les « bouleversements survenus dans l’Arctique » aient un lien de cause à effet avec certaines « anomalies froides » constatées plus au sud. « Ce qui se passe aux pôles ne reste pas cantonné aux pôles », résume-t-il.

Des craintes pour 2019

Inversement, dans l’hémisphère sud, l’Australie a connu le mois de janvier le plus chaud jamais enregistré, note l’OMM, qui estime donc que « 2019 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices » que les années précédentes. Dans l’État de Tasmanie, janvier a aussi été le mois le plus sec, ce qui a favorisé la propagation d’incendies de brousse destructeurs. « Sur une grande partie du territoire australien, les conditions météorologiques extrêmes propices aux incendies deviennent plus fréquentes au fil des ans » et la saison à risque s’étire, affirme l’OMM, citant le Bureau météorologique australien.

168 ans de données

L’Organisation météorologique mondiale s’est servie des cinq plus importantes bases de données météorologiques internationales, provenant des États-Unis, d’Europe et du Japon, pour tirer ses conclusions, ce qui lui a permis de « combiner des millions de données d’observation météorologique et océanique ». Elle a ainsi pu remonter jusqu’à 1850, année où a commencé la relève systématique des températures. L’organisation publiera en mars un rapport détaillé sur « l’état du climat mondial en 2018 », qui abordera non seulement les variations de température, mais aussi d’autres « indicateurs clefs du changement climatique » comme l’évolution de la banquise, la hausse du niveau des mers et l’acidification des océans.

Climat

Alerte à la fonte des glaciers

La fonte des glaciers du Groenland et de l’Antarctique n’aura pas un effet que sur le niveau de la mer, selon une étude publiée dans Nature par une chercheuse de McGill. Elle va perturber la circulation océanique mondiale, ce qui paradoxalement pourrait entraîner des hivers plus froids en Europe du Nord et des coups de chaleur au Québec. Nos explications.

Boucle océanique

Paris est à une latitude un peu plus nordique que Montréal, mais les hivers sont beaucoup plus cléments dans la Ville Lumière. C’est grâce à une boucle océanique appelée circulation méridienne de retournement atlantique (AMOC, selon l’acronyme anglais), le prolongement du Gulf Stream. L’AMOC sera affectée, avec une diminution de 15 % de son débit, par la fonte des glaciers du Groenland, selon Natalya Gomez, géophysicienne à l’Université McGill, qui cosigne l’étude publiée hier dans la revue Nature.

« Le nord-ouest de l’Europe va se refroidir et l’est du Canada va se réchauffer », dit Mme Gomez. Donc finis les vortex polaires comme celui qui a frigorifié la métropole la semaine dernière ? « Non. En même temps, il va y avoir plus d’extrêmes climatiques, en froid ou en chaud. » L’analyse de Nature est basée sur une série de simulations climatiques et des données satellites sur la fonte des glaciers.

Modèles

Les modèles climatiques actuels, utilisés pour prédire l’évolution du climat au XXIe siècle, ne tiennent pas compte de l’impact de la fonte des glaciers du Groenland et de l’Antarctique sur la température de l’air et de l’océan ainsi que sur les courants dans les sept mers de la Terre, selon Mme Gomez. « En Antarctique, la température de l’air et de l’eau ne change pas de la même manière à différentes altitudes et profondeurs. Ça a un impact sur les glaciers et les précipitations qui n’est pas encore intégré dans les modèles. » Un essai qui accompagne dans Nature l’étude de Mme Gomez et une autre portant précisément sur l’Antarctique notent que les modèles actuels ne sont pas assez précis sur le plan spatial pour tenir compte des rivières souterraines qui se forment sur les rives du Groenland et de l’Atlantique et minent encore davantage les glaciers.

Accélération

La hausse de la température des eaux entourant l’Antarctique découlant de la fonte des glaciers du continent n’est pas incluse dans les modèles actuels, selon Mme Gomez. « Ça veut dire que les glaciers vont fondre encore plus rapidement que prévu, particulièrement entre 2065 et 2075. » Un bon exemple de cette sous-estimation, selon la géophysicienne montréalaise : en décembre, une étude allemande a conclu que l’affaiblissement de l’AMOC augmentait paradoxalement la quantité d’eau chaude arrivant en profondeur sur les côtes du Groenland, puis remontant à la base des glaciers, ce qui les fragilise encore davantage. L’étude de Mme Gomez donne du poids à la thèse de l’« instabilité des falaises maritimes », qui fait l’hypothèse que lorsque la portion d’un glacier située sur la mer se brise, elle expose une falaise trop grande pour être stable, qui s’écroule rapidement dans la mer. Quelle est la prochaine étape dans ces recherches ? « Il faudrait aller au-delà de 2100 pour prévoir la fonte des glaciers. Ça limite beaucoup l’élaboration des modèles. »

Plancton et poisson

La hausse du niveau de la mer, le mercure à la baisse en France et les froids et chaleurs extrêmes au Québec ne sont pas les seules conséquences concrètes de cette nouvelle analyse pour nous. Diverses études ces dernières années lient l’abondance des stocks de certains poissons cruciaux pour les pêcheries aux cycles de l’AMOC. « Ça risque de s’accentuer avec les changements climatiques et l’affaiblissement de l’AMOC », explique Robin Faillettaz, biologiste de l’Université de Miami qui a publié en janvier dans la revue Science Advances une étude montrant que les variations de l’AMOC influençaient les migrations du thon atlantique. « Il y a probablement un lien avec les mouvements et l’abondance de plancton. » Se pourrait-il que l’effondrement des stocks de morue dans le golfe du Saint-Laurent voilà 25 ans soit dû au cycle de l’AMOC ou à sa modification à cause du réchauffement de la planète ? « Ça risque fort », répond M. Faillettaz.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.